Actualité RHGhost jobs : le fléau qui rend fou les candidats (et ruine votre marque employeur)

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Ghost jobs : le fléau qui rend fou les candidats (et ruine votre marque employeur)

Mick Nertomb

L’opportunité est miraculeuse.

Pour un candidat, tomber sur une offre “parfaite”, c’est un peu comme ouvrir ses cadeaux de Noël quand on sait que l’on va obtenir le jouet que l’on a toujours voulu : l’excitation se mêle à l’impatience. 

(…Dans ce cas de figure, c’est souvent le papier cadeau qui en fait les frais, mais entre nous, on excusera cet élan de sauvagerie instinctif) 

Car de l’autre côté de l’analogie, quand on parle de recrutement, la situation est globalement similaire (papier cadeau exclu). Rechercher un emploi étant déjà très, très frustrant, chaque nouvelle offre correspondant à ses critères devient déjà un (petit) Noël en soi. On sent monter la fameuse excitation, puis, inlassablement, l’impatience.

On prend alors du temps pour présenter sa candidature, pour l’embellir, pour la cajoler et l’envoyer en direction des équipes de recrutement.

Puis… plus rien.

On attend. On attend.

On attend encore (il y a quelqu’un ?), en vain.

Les plus téméraires relanceront, les autres broieront du noir, puis éventuellement, ils oublieront. L’offre, pas la rancœur. Puis tout recommencera quelques jours ou semaines plus tard.

Ghost Jobs Dali

Mais que s'est-il passé en réalité ?

Certes, l’ombre menaçante du ghosting rôde constamment au dessus de la majorité des candidatures, mais s’il s’agissait cette fois d’autre chose ?

Et si, en fait, il n’y avait jamais vraiment eu d’offre ? Et que, de l’autre côté, au sein de l’entreprise ayant publiée l’annonce, les ambitions n’avaient jamais été de boucler un recrutement ?

C’est ce que l’on appelle un ghost job : une annonce fantôme qui ressemble à n’importe quelle autre annonce, mais qui n’est en réalité reliée à aucun poste réel.

Et cette démarche prend jour après jour plus d’ampleur, adoptée par toujours plus d’entreprises et de RH… même si elle est la source d’une frustration qui, à long terme, va générer des dégâts irréversibles.

Les raisons derrière l'utilisation des ghost jobs

Jamais une étude RH n’aura eu un tel retentissement pour le commun des mortels. 

En fait, la récente révélation que 40% des managers avouent avoir recours aux ghost jobs, en toute impunité, a sonné comme une déflagration. Une empreinte indiscutable qui pose un chiffre clair sur une pratique que beaucoup soupçonnaient, mais que peu pouvaient véritablement prouver.

Un peu comme si un platiste obtenait enfin raison après des années de moqueries. 

Une libération.

Sur Reddit par exemple, au sein de plusieurs communautés de candidats ou d’entraide à la recherche d’emploi, l’étude a permis à des milliers de postulants de relativiser : finalement, ce n’est pas de leur faute s’ils sont ignorés, si leurs candidatures ne génèrent rien de plus que de l’indifférence, ils ont simplement postulé à des postes qui n’ont jamais réellement existé.

Reddit Ghost Jobs-

Une maigre consolation qui ne change pas les résultats bruts de l’étude, qui, de prime abord, demeurent terrifiants :

  • 40 % des entreprises ont publié une offre d’emploi fictive cette année

  • 3 entreprises sur 10 ont actuellement des offres fictives en ligne

  • Les principales raisons derrière la stratégie des ghost jobs sont : apaiser les inquiétudes des employés concernant leur charge de travail et simuler une croissance de l’entreprise

  • Les RH pensent que les ghost jobs conduisent à une augmentation du chiffre d’affaires, du moral et de la productivité

  • 7 interrogés sur 10 estiment que publier des fausses offres d’emploi est moralement acceptable

Mais au-delà de la confirmation d’un secret de polichinelle, l'enquête commandée par Resume Builder permet de comprendre une mécanique qui, jusqu’à présent, semblait obscure, sans fondement ni sens particulier. Elle appose, pour la première fois, des arguments à un procédé qui semble tout à fait incohérent et, de ce fait, permet de rentrer dans la logique des utilisateurs de la méthode. L’objectif étant de comprendre pourquoi managers, professionnels RH et entreprises ont de plus en plus recours aux ghost jobs, particulièrement en ce moment.

Et pour l’ensemble des raisons évoquées pour justifier l’utilisation des ghost jobs, on retrouve : 

  • La réelle envie d’embaucher quelqu’un… mais pas maintenant - Publier l’annonce à l’avance permet donc d’obtenir des informations sur les salaires globalement attendus par les candidats, les types de profils intéressés…

  • L’oubli - Un candidat a déjà été recruté, mais le poste a été laissé ouvert par inadvertance, ou “au cas où” la période d’essai serait infructueuse.

  • L’entreprise “recrute en permanence” - Soit l’utilisation de ghost jobs en tant que candidatures spontanées, via des offres liées à aucun besoin réel, seulement potentiel.

  • L’entreprise veut donner l’impression qu’elle est en croissance - En ouvrant beaucoup de postes (non réels), certaines boîtes veulent ainsi faire croire qu’elles recrutent activement, et qu’elles ont donc le budget pour. Dans une étude similaire menée par Clarify Capital, 43% des répondants ont avoué utiliser ce subterfuge.

  • La volonté de créer de faux espoirs pour les salariés - Ici, il s’agit de faire croire aux employés débordés que l’entreprise cherche à recruter… même si ce n’est pas vraiment le cas.

  • Pour “motiver” les collaborateurs… en installant un sentiment de remplaçabilité - 62% des entreprises avouent publier des offres fantômes pour mettre la pression à certains salariés. Oui oui.

Donc, oui… Globalement, toutes ces justifications ne transpirent pas franchement la bienveillance, le respect de l’autre et la moralité Bisounoursienne. Au contraire, l’aiguille penche assez sérieusement vers la manipulation, l’opportunisme pragmatique et la bonne vieille truanderie.

Et si des résultats peuvent être acquis de cette façon, du moins à court terme (souvenez-vous, les partisans assurent que les ghost jobs ont un impact positif sur les revenus de l’entreprise, la productivité et le moral des employés), sur la durée, miser sur une technique qui broie la motivation des candidats est forcément problématique.

Et pas seulement pour l’entreprise.

Pourquoi vous ne devriez jamais céder à la tentation des ghost jobs 

Triptyque

nom masculin
(grec triptukhos, plié en trois)

Œuvre littéraire ou artistique composée de trois parties offrant une certaine symétrie.

Si les ghost jobs étaient une œuvre, ils seraient forcément un triptyque.

Car ils engendrent trois conséquences égales, toutes aussi dévastatrices les unes que les autres. Attention, ça pique :

L’impact sur les candidats

Perte de temps, d’énergie, de motivation… Mais aussi de confiance, surtout quand, paradoxalement, les entreprises qui utilisent les ghost jobs n’hésitent pas à bel et bien prendre des candidats en entretien (toujours selon l’étude ResumeBuilder, 39% des aficionados des emplois fantômes faisaient passer des entretiens sans intention de faire des offres).

Pour l’angle moins sympathique, tout cela contribue également à dégrader la santé mentale des postulants : anxiété, épuisement émotionnel, découragement, dépression et autres joyeusetés du quotidien. 

Et forcément… chaque action menant à une réaction, les candidats floués ne restent pas à s’appitoyer sur leur sort. Non, ils en veulent aux coupables, et développent ainsi une rancœur (dans la même logique qui pousse les prospects ghostés à boycotter une entreprise) qui ne s’efface que lorsque leurs tourmenteurs… deviennent tourmentés.

L’impact interne sur votre entreprises

Oui, le candidat énervé est très, très persévérant, et il fera tout pour miner votre réputation après avoir été floué. 

On parle donc de bad buzz, de posts sur les réseaux particulièrement fleuris à votre égard, d’un impact potentiel sur le business, d’un déficit d’image conséquent, de futures difficultés à recruter lorsqu’il faudra vraiment le faire… 

Comment ? De nombreux sites ont été crées spécifiquement pour humilier les entreprises incriminées, comme Ghostjobs.io ou Ghostedd.com.

En interne, ce n’est guère mieux avec une chute du moral et donc de la productivité, des équipes RH qui d’un seul coup haïssent leur travail, bref, une composition artistique haute en couleur, surement de type baroque, façon La Mort de Decius Mus de Rubens. Toujours charmant.

Ghost Jobs 2-

Heureusement, on peut vous proposer des alternatives pour résister à l’appel des ghost jobs et de leur conséquences plus ou moins folkloriques sur votre marque employeur : 

  • Sur l’excuse “pour sonder le marché ou les salaires” : des services comme Figures vous permettent de ne plus jouer au loto en décidant de la rémunération d’un poste, en obtenant des insights marché concrets.

  • Sur le recrutement en permanence : nombreuses sont les entreprises qui peuvent vous aider à constituer des viviers qualitatifs issus de candidatures passées, on pense par exemple à YAGGO.

  • Sur l’oubli : une simple notification sur votre calendrier, à l’avance, enregistrée lors des moments critiques d’un recrutement. Exemple : vous envoyez une offre ? Mettez-vous une tâche pour retirer l’annonce. Certains ATS le proposent également.

  • Sur la simulation d’une entreprise en croissance - L’idée est de faire passer le business comme étant florissant, quand ce n’est pas le cas ? Mais dans quel cas de figure est-ce une bonne solution à long terme ? Au mieux, dans tous les cas les gens visés s’en rendront compte, au pire, une forte odeur de fraude se manifeste soudainement. Dans les deux cas : ça ne vaut pas le coup.

  • Sur les faux espoirs des collaborateurs sous l’eau - Deux mots : transparence et honnêteté. Car la technique du ghost job est un vrai compte à rebours vers la catastrophe. Les employés se douteront bien au bout de plusieurs mois que l’annonce n’est qu’un mirage, et là, ils seront définitivement désengagés.

  • Sur la pression mise aux salariés - Non. Juste non en fait.

L’impact global sur le marché de l’emploi

Retour en arrière : nous sommes le 23 Avril 2017 à 20h, et vous êtes devant la télé pour voir les résultats du 1er tour de l’élection présidentielle sauf que… Contre toute attente, Jacques Cheminade arrive en tête alors qu’il était attendu dernier.

L’explication est originale : au sein des bureaux de vote, pas mal de sondés se sont amusés à tromper les enquêtes d’opinions en partageant de fausses informations.

Ici, c’est un peu la même chose.

Si un poste sur cinq est un ghost job, alors toutes les statistiques du marché de l'emploi basées sur les offres des jobboards sont automatiquement dans l’erreur. Elles donnent dès lors une image trompeuse de la demande en main-d'œuvre, compliquant l'analyse économique et la mise en place de politiques adaptées. Cette distorsion peut également influencer les décisions des chercheurs d'emploi quant aux secteurs ou aux entreprises à cibler, basées sur des informations erronées.

Pire, cette inflation artificielle des offres d’emploi contribue également à donner une impression erronée d’opportunités abondantes, alors que les recruteurs eux-mêmes peinent parfois à trouver les profils dont ils ont réellement besoin.

Et… oui, toute cette pagaille à cause de quelques faux postes à pourvoir.

Les candidats contre-attaquent 

Outre le shaming plus ou moins organisé des communautés, l’opinion générale a -logiquement- déjà pris parti dans cette mini querelle.

Aux Etats-Unis notamment, tout le monde s’accorde à dire que le fléau des ghost jobs doit cesser. Immédiatement. Surtout dans un marché de l’emploi aussi tendu, où tout le monde part perdant : les entreprises qui ont du mal à recruter, les postulants pour qui trouver un emploi n’a jamais été aussi difficile.

Ainsi, les articles proposant de l’aide aux candidats désabusés pullulent un peu partout, et ces derniers ne manquent pas l’occasion d'égratigner au passage tous les acteurs les plus prolifiques en matière de publication d’emplois fantômes.

Sur Indeed, chez The Undercover Recruiter, Forbes ou même Buzzfeed, on distille à la pelle les conseils pour identifier les offres qui ne reposent sur rien, mais aussi les entreprises assez toxiques pour les utiliser. 

Scruter les réseaux sociaux, les comptes Linkedin des recruteurs, se méfier des annonces en ligne depuis des mois, aller directement manifester son mécontentement - ou ses doutes - aux entreprises concernées… Toutes ces astuces permettent autant d’identifier les ghosts jobs qu’elles mettent en lumière les dysfonctionnements et les limites des sociétés les moins… morales.

Ghost Jobs 3-

Mais au-delà des pointages de doigts, loin de la destruction progressive d’une marque employeur, il y a dans cette situation quelque chose de quasiment inespéré, comme une main tendue vers la rédemption.

Une opportunité, pour les RH, de dire non, de ne plus être dans le conflit, dans la couardise, dans la malice. Il y a ce choix à faire, celui de changer les choses, de faire évoluer ce qui n’est plus acceptable, même si cela coûte de l’énergie, du temps, et de l’investissement.

Car le problème des ghost jobs, c’est avant tout un problème de verticalité. Les RH subissent les conséquences d’une pression qu’on leur a imposée. Une pression des résultats, une pression économique, managériale qui, forcément, mène à la prise de raccourcis.

C’est difficile, mais c’est à cette pression qu’il faut dire non. C’est à cette direction qu’il faut savoir expliquer qu’une stratégie basée sur la diffusion de ghost jobs est une stratégie qui se tire dans le pied, et que les maigres gains immédiats seront suivis d’une marée de problèmes insurmontables. La mission, c’est celle-là. Faire confiance à sa propre expertise, ses propres compétences pour aller contre un mouvement, qui simplement, n’a plus lieu d’être.

On est avec vous.

Mick Nertomb